Bernard Bosquier : "les Bleus peuvent aller au bout"
"Bobosse", un surnom que lui avait donné le facétieux et iconique Marcel Aubour, a régné une décennie durant dans les airs, un domaine où il excellait. Mais pas seulement. Sa vista, son sens de l'anticipation, son intelligence, ses indéniables qualités techniques et sa grosse frappe lui auront valu d'être le boss incontesté des Verts et des Bleus dans les années 60.
Avec l'AS Saint-Étienne, il aura conquis quatre titres de champion de France, signé deux doublés, remporté trois Challenges des champions. Désigné à deux reprises meilleur joueur du championnat en 1967 et 1968, vainqueur de l'Étoile d'Or de France Football en 1970, il devint tout naturellement l'un des cadres des Bleus avec lesquels il disputa la Coupe du monde 1966 en Angleterre. À 80 ans, il garde toujours un œil aiguisé sur les choses du ballon rond, son évolution, déplorant que le travail technique, "la base", soit, à ses yeux, négligé dans les clubs et la formation. "Le physique, la dimension athlétique sont certes importants. Mais on ne peut pas réduire le football à des courses, des sprints, à de la vitesse et de la résistance. Il faut apprendre à dompter le ballon, le contrôler, le transmettre. Dans mon coin, avec mon fils, je me bats pour faire passer ce message. Des gamins viennent des USA et de Chine, précisément pour cette approche. Et je crois pouvoir dire que la notoriété de ces stages n'est pas surfaite", précise, en préambule, Bernard Bosquier. Et d'ajouter : "Je suis né en 1942, œuvre dans le cadre de ces stages depuis 42 ans, ai été retenu en Équipe de France 42 fois (42 titularisations, 3 buts) et ai apporté ma pierre à l'édifice dans la Loire. Décidément, le 42 est mon chiffre !..."
Bernard, quel souvenir gardez-vous de votre premier match dans le Chaudron en 1966 ?
J'avais débuté à Alès en 17 ans avant de rejoindre Sochaux. En signant à Saint-Étienne, l'un des clubs majeurs à cette époque, je franchissais incontestablement un nouveau palier. Mon premier match en championnat à Geoffroy-Guichard, je l'ai disputé face à l'O.M. Hervé Revelli avait signé un doublé. Au terme de la saison, nous avons obtenu le premier de nos quatre titres consécutifs.
Et avec les Bleus ?
Je jouais encore à Sochaux. C'était en 1964 (le 2 décembre) à Bruxelles au Heysel face à la Belgique de Van Himst. Un match amical au cours duquel nous avions été dominés. La sélection était en reconstruction.
"Salif Keita : un phénomène"
Quel partenaire vous a le plus impressionné dans le Forez ?
C'est difficile à dire tant il y avait de talents. Je pourrais en citer une dizaine: de Roby à Mémé Jacquet en passant par Jojo Bereta ou Rachid Mekloufi. Sans oublier les Sbaiz, Camerini ou Mitoraj. Et bien sûr Hervé Revelli et ce phénomène absolu qu'était Salif Keita.
Et avec les Bleus ?
J'avais une affection toute particulière pour Marcel Aubour. Et beaucoup d'admiration pour Yvon Douis, formé à Lille et qui brillait à Monaco. Il était un ton au-dessus de tout le monde. Une technique soyeuse et une belle efficacité. Un attaquant doué tout simplement.
Et l'adversaire qui vous a le plus bluffé ?
Sans hésitation, Eusebio avec le Benfica. Nous avions affronté les Portugais en huitièmes de finale de la Coupe d'Europe en 1967. Eusebio avait marqué au match aller (2-0). Nous n'avions fait qu'une partie de notre retard lors du match retour (1-0, but de Georges Bereta). Eusebio était un super joueur, l'un des meilleurs de sa génération.
Quel coach vous a le plus marqué ?
Jean Snella. Monsieur Snella. J'ai toujours eu une grande admiration pour lui. Je me souviens être allé à sa rencontre. Je lui avais dit : "vous ne me parlez pas. Pour quelles raisons ?". Il m'avait répondu : "Je t'observe depuis des semaines, des mois. Je connais tes qualités, ton potentiel, tes axes de progression." La discussion avait duré une heure et demie. J'avais alors compris son message et sa démarche. Jean Snella donc mais aussi bien évidemment Albert Batteux, un autre grand Monsieur aux côtés duquel j'ai également beaucoup appris. C'était incroyable, ce sérieux, cette rigueur, sa pédagogie, ses causeries. Et ce respect mutuel. Un Monsieur.
"Ma plus forte émotion chez les Verts ?, Notre exploit contre le Bayern."
Quel est votre plus grand souvenir sous le maillot vert ?
L'exploit que nous avons réalisé face au Bayern de Munich de Muller, Maier et Beckenbauer en 1969. Au match aller, nous n'avions pas existé mais avions limité la casse (2-0). Avant le retour, Albert Batteux avait insisté sur l'importance de réussir notre entame de match. Hervé (Revelli) marque dès la deuxième minute et nous l'emportons 3-0. C'était fabuleux. On avait une équipe de folie mais également une cohésion, une camaraderie qui faisaient notre force et expliquaient nos résultats. Rien n'était laissé au hasard. Je me souviens par exemple de notre kiné. Il gérait et connaissait parfaitement notre corps. Il a ainsi prévenu pas mal de blessures. Une équipe, c'est un tout. Pas uniquement des joueurs.
Et avec les Bleus ?
Notre qualification pour la Coupe du monde en Angleterre en 1966. Hélas, nous ne sommes pas sortis des poules (le groupe était composé de la France, de l'Angleterre, du Mexique et de l'Uruguay). Notre staff était composé de trois coaches (Henri Guérin, Lucien Jasseron et Robert Domergue) qui ne tenaient pas un discours cohérent. L'un contredisait ce que l'autre avait dit la veille. Avec mes coéquipiers, lors des causeries, on se regardait les yeux écarquillés et on ne comprenait pas ce qu'il se passait...
"J'ai confiance en Didier Deschamps"
Et les Bleus d'aujourd'hui, qu'en pensez-vous ?
En dépit des blessures de Benzema ou Kanté, entre autres, il y a beaucoup de qualités et de certitudes dans cette équipe. Ils m'ont emballé face à l'Australie (4-1). J'adore Griezmann. Il a une activité folle et une vraie justesse. Lloris est un excellent gardien, un leader écouté. Quant à Mbappé, c'est un phénomène.
Votre pronostic pour ce Mondial ?
Je vois les Bleus aller au bout. Le banc est de haut niveau et cela a son importance sur ce genre de compétitions. À l'issue du match, j'ai envoyé un SMS à Didier Deschamps. Il m'a aussitôt répondu. J'ai confiance en D.D. Il fait preuve de beaucoup de justesse dans ses compositions d'équipes. auxquelles il donne beaucoup de force mentale."
Cet entretien a été réalisé avant même que la France ne l'emporte aux dépens du Danemark (2-1), validant ainsi d'ores et déjà son ticket pour les huitièmes de finale.