Ivan Curkovic : "L'ASSE, c'est en moi. À vie."
Président d'honneur du Partizan Belgrade, Ivan Curkovic, après avoir exercé des fonctions, entre autres, au sein de la Fédération serbe, de la FIFA et de l'UEFA, a pris du recul avec le football dont il demeure toutefois un observateur privilégié. "J'ai bien évidemment été ravi de la qualification de la Serbie pour le Mondial au Qatar. Dragan Stojkovic, passé par l'OM, fait du bon boulot", confie l'un des héros de 76. Et le gardien du temple se tient toujours au fait de Mostar, sa ville natale, de l'actualité des Verts. "Ce que notre groupe a réalisé est rare, exceptionnel. L'amalgame joueurs d'expérience - jeunes - étrangers a parfaitement fonctionné. Cette alchimie demeure encore, cinquante ans plus tard tant nous avons tissé des rapports d'amitié extrêmement forts. L'ASSE, c'est en moi. À vie.".
Ivan, quels partenaires vous ont le plus impressionné ?
J'en citerais trois. Osvaldo (Piazza) dont l'apport à notre équipe fut inestimable. Il conjuguait puissance et détermination, rigueur et rage de vaincre. Il n'y avait pas une once de méchanceté en lui. Il mettait l'ambiance au sein du groupe. Un joueur et un homme au grand cœur. J'ai également beaucoup apprécié Georges (Bereta), un formidable bagarreur qui n'abandonnait jamais. La fatigue ne semblait pas avoir de prise sur lui. Et puis quelle force de frappe de son pied gauche ! Enfin, Jean-Michel (Larqué). Lorsque je dégageais, je le recherchais. Il nous inspirait tellement confiance de par sa justesse technique et sa sérénité. Vous lui donniez un ballon, il ne le perdait pas. Un véritable coffre-fort !
Le partenaire qui a accompagné vos premiers pas en France ?
Aimé Jacquet avec lequel je partageais la chambre en déplacement. Un pédagogue avec de belles valeurs humaines qui fut mon professeur de français.
Un attaquant que vous redoutiez tout particulièrement ?
Josip Skoblar avec qui j'ai d'ailleurs évolué sous le même maillot, celui de la sélection yougoslave. Un très grand joueur, un super buteur, vif, malin et terriblement adroit. Je pense également au Lyonnais Bernard Lacombe et au Bordelais Didier Couécou, habiles et toujours bien placés.
Avec Robert Herbin, nous nous respections. J'étais quelque part un peu son relais sur le terrain.
Une équipe française qui a contrarié vos desseins ?
Le FC Nantes assurément. Un adversaire coriace et talentueux. Nous nous respections mutuellement et nos confrontations ont donné lieu à quelques matches marquants dans l'histoire des deux clubs (la demi-finale retour tout bonnement renversante de Coupe de France 1977 remportée par les Verts sur le score de 5-1, en est l'un des exemples les plus éloquents). Avec Denoueix, Rio, Michel, Bossis, Pécout, les Nantais avaient beaucoup de qualités. Il y avait également dans les cages Bertrand-Demanes que j'ai d'ailleurs entraîné plus tard en Equipe de France. Georges Boulogne, Stefan Kovacs et Michel Hidalgo ont en effet appel à moi pour ce poste et ce travail spécifiques. C'était assez novateur en France.
Le coach qui vous a le plus marqué ?
Stjepan Bobek, mon entraîneur au Partizan de Belgrade, un attaquant dans les années 40-50, élu meilleur joueur de tous les temps du Partizan, buteur le plus prolifique de la sélection yougoslave. Il a marqué le club, y laissant une trace indélébile et contribué à son remarquable palmarès. J'ai eu la chance d'évoluer sous ses ordres à la fin des années 60 avant qu'il ne parte en Grèce. Un homme très loyal, très chaleureux, un formidable technicien. Et puis bien évidemment Robert Herbin, un homme exceptionnel, éminemment respectable dont j'étais très proche. Nous échangions beaucoup. Nous nous respections. J'étais quelque part un peu son relais sur le terrain.
Votre plus grande désillusion ?
La finale à Glasgow que nous avons perdue sans doute lors des jours qui ont suivi notre qualification face au PSV Eindhoven. Psychologiquement, nous avons commis une erreur. On s'est dit : "ça y est, nous avons réussi". Or, il ne s'agissait que d'une étape sur la route du trophée. Dix ans plus tôt, le Partizan avait également joué la finale avant l'heure, après avoir créé la sensation en sortant le Manchester United de Bobby Charlton et Georges Best. Les grandes équipes telles que le Bayern ou le Real, habituées à ce genre de rendez-vous, appréhendent ces finales avec maîtrise et sans euphorie. Sans compter que, pour notre part, nous avons buté sur ces fameux poteaux carrés...
... que vous avez retrouvés bien des années plus tard ?
Effectivement. En 2012, en qualité de vice-président de la Fédération serbe, j'ai assisté à la rencontre Ecosse -Serbie comptant pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2014. Lors du dîner officiel servi à Hampden Park, j'ai bien évidemment évoqué les poteaux carrés. "Ils sont sous vos pieds ! ", m'a répondu mon interlocuteur. Ils étaient effectivement là, dans la réserve. Quelle émotion ! Ces poteaux appartiennent à la légende. J'ai aussitôt prévenu mon ami, Philippe Gastal qui a, dès lors, œuvré à leur rachat (ils furent achetés 20 000 euros en juillet 2013 et sont désormais exposés au Musée des Verts tout comme la fameuse Mercedes d'Ivan Curkovic).
À Saint-Étienne, je compte encore de nombreux amis fidèles.
Votre plus beau souvenir ?
L'ASSE et la ville de Saint-Étienne qui m'ont marqué à vie. J'y ai vécu des années merveilleuses. C'était chez moi ! Gravé à vie. La France, et tout particulièrement, c'est ma deuxième patrie. J'y retourne régulièrement. Toujours avec le même plaisir. À Saint-Étienne, je compte encore de nombreux amis fidèles.
Votre plus grande fierté ?
Précisément d'avoir été adopté par ce pays et cette ville. Les distinctions que j'ai reçues en France m'ont rendu fier et heureux. Je ne sais pas si je méritais tous ces honneurs mais, croyez-moi, ce furent de grands moments d'émotion. Outre la médaille d'Or de la Ville de Saint-Étienne, j'ai été distingué de l'Ordre National du Mérite sous la présidence de François Mitterrand et été fait chevalier de la Légion d'Honneur sous la présidence de Jacques Chirac. Sans oublier la médaille d'or de la Jeunesse et des Sports.
Votre journal intime ?
Il est toujours d'actualité ! Tous les soirs, aujourd'hui encore, je consigne les événements de la journée avec beaucoup d'attention. Cette habitude ne m'a jamais quitté, pendant et après ma carrière.
À cet égard, le 18 juin 1972 y a sans doute une place toute particulière pour vous ?
Oh que oui ! Cette date est synonyme de deux événements marquants dans ma vie. C'est en effet le 18 juin 1972 que j'ai débarqué à Saint-Étienne, un peu dans l'inconnu, et c'est également ce jour-là que Smezana, mon épouse, demeurée à Belgrade, a mis au monde Ana, notre deuxième fille.