Jean Oleksiak : "C'était fabuleux"
Milieu de terrain de l’équipe qui a permis à l’AS Saint-Étienne de remporter sa première Coupe de France face à Nancy (1-0), Jean Oleksiak évoque les émotions uniques qui ont accompagné le titre de 1962.
L'équipe victorieuse de la première Coupe de France en 1962 pose sur la pelouse du Stade Yves-du-Manoir à Colombes. Jean Oleksiak, accroupi, est le 3e joueur en partant de la droite.
Le contexte |
Au cours de l’histoire, l’AS Saint-Étienne a connu des veilles de finale plus fiévreuses que celle qui se profile en ce dimanche 13 mai 1962. Et pour cause. Bien que le championnat ne soit pas encore bouclé, les Verts savent déjà qu’ils évolueront en deuxième division lors de leur prochaine saison. La faute à pas de chance, même si Jean Oleksiak répugne à parler de "malchance" en matière de sport. Difficile pourtant d’expliquer ce manque de réussite qui a fui les coéquipiers du milieu de terrain et leur a fait perdre le fil de leur saison jusqu’à la relégation. C’est donc dans une ambiance tiède que l’AS Saint-Étienne s’apprête à disputer la troisième finale de son histoire. Une ambiance qui déteint sur le stade Yves-du-Manoir. En tribune d’abord, où les supporters stéphanois dépassent à peine le millier mais aussi sur la pelouse où les acteurs livrent une partie sans relief. C’est pourtant dans ce contexte singulier que les hommes de Roger Rocher brandiront leur première Coupe de France aux dépens de l'AS Nancy, grâce à un but de Jean-Claude Baulu (1-0). Et c’est cette même équipe qui retrouvera la première division un an plus tard, conformément à l’injonction de son Président visionnaire : "Messieurs, vous êtes descendus ensemble, vous remonterez ensemble. Il n’y aura aucun mouvement d’effectif cet été ! ". Des mots résonnant encore à l’oreille de Jean Oleksiak - toujours impressionné par l’ambition et la qualité de ce "dirigeant hors pair" - qui revient pour Asse.fr sur cette première Coupe de France soulevée par les Verts. |
Quel souvenir gardez-vous de cette finale face à Nancy ?
Pour être honnête, je ne me souviens pas très bien du match en lui-même. Il faut dire que ça date un peu et, surtout, que la rencontre avait été disputée sans fait de jeu extraordinaire. Ce jour-là, la balance avait penché de notre côté mais Nancy aurait très bien pu l’emporter également. Les souvenirs les plus marquants que je garde de ce match sont la rencontre avec le Général de Gaulle et le retour incroyable que nous avaient réservé les supporters à Saint-Étienne.
Ce face-à-face avec le Général semble vous avoir profondément marqué…
Pour moi, c’était une chance incroyable de pouvoir saluer le Général de Gaule en personne. Serrer la main à ce personnage historique devant mon père, mineur retraité, et ma mère que j’avais fait venir exprès du Pas-de-Calais à Colombes pour voir la finale, c’était une grande fierté.
La fierté était aussi du côté des supporters de l’ASSE, heureux de vous voir rentrer à Saint-Étienne avec ce trophée.
Tout à fait, mais dans notre wagon deuxième classe qui nous ramenait à Chateaucreux, personne ne s’attendait à un tel retour car, cette saison-là, nous étions relégués en deuxième division après une saison décevante. Pourtant l’accueil avait été délirant ! 30 000 personnes étaient présentes ! De la gare à la rue Marengo, où le journal Le Progrès était installé, nous avions défilé dans des coupés Renault Floride devant cette foule incroyable, c’était fabuleux.
Aujourd’hui encore, quand je regarde la miniature de la Coupe de France que j’ai à la maison, je suis heureux.
Pourquoi êtes toujours ému à l’évocation de ce trophée ?
Sur le plan personnel, je vivais une période assez faste. Je m’étais marié en 1960, mon fils naissait l’année suivante et, en 1962, je serrais la main du Général de Gaule et je remportais la Coupe de France, le tout devant mes parents et ma femme. Moi, qui étais arrivé du Nord-Pas-de-Calais avec mes petits sabots, je me sentais propulsé au plus haut-niveau. Aujourd’hui encore, quand je regarde la miniature de la Coupe de France que j’ai à la maison ou que je revois des photos de cette finale, je suis heureux. Des souvenirs extraordinaires me reviennent, comme le but vainqueur que j’avais inscrit en demi-finale contre Angers au Parc des Princes sur un centre de Jean-Claude Baulu. Avec le recul, je trouve que j’ai fait une petite carrière mais j’ai un palmarès respectable (il sourit humblement).
Que représentait cette première Coupe de France pour l’ASSE ?
C’était un trophée qui nous permettait de rattraper notre saison, d’être ragaillardis pour la suite mais c’était surtout la première Coupe de France de l’AS Saint-Étienne. Avec le premier titre de Champion de France que nous avions remporté en 1957, la Coupe Drago en 1958, la finale de Coupe de France en 1960 et cette Coupe de France en 1962 nous étions au début de l’ère stéphanoise qui s’est concrétisée dans les années 1970. À l’époque, on n’en avait pas conscience, on était juste une bande de copains qui jouaient bien au football et remportaient des titres. On était contents pour tous ces supporters stéphanois qui venaient nous voir au stade à 25 ou 30 000 personnes alors que les tribunes derrière les buts n’étaient pas encore construites. Car l’euphorie qui a animé le Peuple Vert et la France dans les années 1970 a toujours été présente à Saint-Étienne.
Parlez-nous de l’équipe d’alors…
Le concept de stoppeur et de libéro n'existait pas encore mais Nello Sbaïz et Richard Tylinsky évoluaient à tour de rôle dans ces registres et, dans l’entrejeu, on jouait avec deux milieux de terrain : René Domingo et Robert Herbin et deux "inters", comme on disait à l’époque, qui étaient Roland Guillas et René Ferrier. Ça composait notre carré magique derrière les avants de pointe. On avait un style plutôt offensif et, à part un des deux défenseurs qui restait derrière, on montait tous ensemble.
Quel genre de joueur était Robert Herbin qui nous a quittés récemment ?
Robby était un type extraordinaire. Il avait des qualités athlétiques hors norme et son jeu de tête m’impressionnait vraiment. Son intelligence de jeu lui donnait cette faculté impressionnante d’intercepter les ballons. D’un point de vue humain, il était déjà le Sphinx qu’on a connu par la suite. Au stade ou à l’entraînement, il avait de bonnes relations avec tout le monde mais il restait énigmatique et ne recherchait pas la compagnie contrairement à certains d’entre nous qui vivions pratiquement ensemble.
Comment avez-vous réagi à sa disparition ?
Je regrette que le confinement ne nous ait pas permis de lui rendre hommage comme il le mérite. Il apporté énormément au football français. À la technique, il a mêlé le punch et la condition physique. C’étaient ses crédos. C’est aussi lui qui a lancé la carrière de mon fils, Thierry. Malgré son jeune âge, il n’a pas eu peur de le lancer en Coupe d’Europe contre Eindhoven (6-0) et je lui en serai toujours reconnaissant.
Que souhaitez-vous aux Verts pour cette finale ?
Je reste un supporter de l’AS Saint-Étienne qui vit entre le quartier de Centre-Deux et Beauzac, en Haute-Loire. Je suis tous les jours l’actualité des Verts en lisant le journal et grâce aux contacts que j’ai gardés avec le club. Je leur souhaite tout le bonheur possible car, dans une finale, il n’y a pas de favori. Dans le football, tout est possible.
L’objet du Musée des Verts
Aux côtés du maillot de René Domingo et du ballon utilisés lors de la finale victorieuse disputée à Colombes en 1962, le Musée des Verts vous offre le détail des festivités protocolaires d’après-match. Le menu du repas offerts aux Stéphanois et une bouteille de Champagne « La Coupe de France » appartenant à Jean Oleksiak sont à déguster... avec les yeux !